Croissance, décroissance et progressisme
Soubresa
uts immunitaires face à sa remise en cause croissante ? L’avenir le dira, toujours est-il que le productivi sme, en se défendant à vue, met en lumière la fragilité des présupposés par lesquels il se faisait jadis passer pour évident.
Une pensée marginale devenue subversive
Michael Moore, dans une interview au « Télé-Obs» », affirmait que le Président George W. Bush avait rendu un grand service aux pourfendeurs du système capitaliste, en défendant celui-ci ouvertement et en prononçant son nom, le rendant à nouveau discutable. Peut-être en va-t-il de même pour la question de la croissance, qui redevient ce qu’elle est de toute évidence : une orientation en tant que telle, et non une finalité objective. Ainsi Nicolas Sarkozy, à l’approche du sommet de Copenhague, s’emportait à propos des partisans de la décroissance : « Est-ce qu'ils savent qu'il y a du chômage? Est-ce qu'ils savent qu'il y a de la misère dans le monde? Est-ce qu'ils savent qu'il y a près d'un milliard de gens qui ne mangent pas à leur faim et que la décroissance ça veut dire plus de misère pour tous ces gens-là ? »1. Sur le fond, le paradoxe du propos est évident : c’est précisément parce-que les pays du Nord consomment de telle 
manière que quatre planètes seraient nécessaires à la généralisation de leur mode de vie, que les objecteurs de croissance trouvent peu raisonnable de baser les politiques économiques occidentales sur l’augmentation continue et éternelle de la production. L’intérêt de cette tonitruante démonstration présidentielle est autre : on constate que la décroissance, idée encore marginale et cantonnée aux colonnes du Monde diplomatique il y a quelques années, est devenue un danger réel aux yeux de la pensée dominante.2 Cependant, force est de constater que, loin de dominer à gauche où elle est très minoritaire, le terme même de « décroissance » est une source de malentendus.
I
l est fréquent, même à gauche, de voire récession subie et décroissance choisie amalgamées, alors que la première est la conséquence délétère de l’irréalisme du système que critiquent les partisans de la seconde. Si la décroissance du produit intérieur brut n’est pas un objectif en tant que tel, la dépendance à la croissance à tout prix est forcément perverse, en ce qu’elle témoigne de l’impuissance publique à gérer l’emploi en fonction de la production existante, et donc de l’impossibilité de prendre en compte des impératifs de long terme (environnement, partage mondial des matières premières…). Si le développement durable n’était pas trop souvent un alibi des partisans de la peinture verte sur les usines à gaz, il serait conciliable avec les idées plus radicales de remise en cause du productivisme. Ainsi, il est évident que certains secteurs durables constituent un potentiel de croissance économique, et il n’y a rien de mal à cela. Cependant, si les objecteurs de croissance sont allergiques aux notions de croissance « verte » ou « sélective », c’est parce que leur simple énoncé témoigne de notre dépendance à la croissance qui, de fait, ne pourra alors pas être sélective. En un sens, seule une économie suffisamment dirigée pour ne pas être dépendante de la 
croissance peut finalement aboutir à une croissance verte, mais qui n’aura pas été recherchée en tant que telle. Serge Latouche lui-même, le grand théoricien de la décroissance, reconnaît que celle-ci est avant tout un slogan destiné à marquer les esprits, et que le vrai but serait en fait une « a-croissance »3. Autrement-dit, dépasser la notion même de croissance… Pourtant, force est de constater que, si ce slogan est parvenu à marquer les esprits, il ne l’a pas fait de manière positive en ce qu’il focalise beaucoup de faux débats entre progressistes… Si les objecteurs de croissance étaient des publicitaires aptes à trouver de bons slogans, cela se saurait !
- 1 : http://www.europe1.fr/Politique/Decroissance-Sarkozy-attaque-Duflot-riposte-88791/
- 2 : http://www.monde-diplomatique.fr/2003/11/LATOUCHE/10651
- 3 : http://www.dailymotion.com/video/x2x9zd_serge-latouche-la-decroissance_sport
- Voire un article de blog très bien vu, à propos d’une publicité assez choquante qui passait sur France-Inter : http://www.musarder.fr/blog/index.php?post/2009/12/10/Changer-pour-quoi